vendredi 27 avril 2012

Carnet N°4 - Laos... sur la montagne

Mon envie? Que ce Blog soit accessible à quiconque s'intéresse au voyage en solitaire.Un Carnet de voyage conçu avec le plaisir de l'écriture et celui de partager avec vous une aventure entre l'Asie et la Lorraine... Bonne lecture à vous.
Pyerrot.


PS: Et comme d'habitude, une video en fin de Carnet pour un résumé en images...

Je dédicace ce Carnet à Jean, Hoâ, Xiu et Denis qui m'ont ouvert grand leur porte sans préjugés... qualité rare.

Des kilomètres de musiques et de chansons...
14 février : Hoi An- Prao, 135 km (Sati, Arno)
15 février: Prao-A luoi, 115 km (Asia Loundge, Chopin)
16 février: A Luoi – Khe Sanh, 120 km (Manu Chao, Boris Vian)
17 février: Khe Sanh – Laos : 18 Km (Keith Jarrett, AC/DC) - Direction Savannaketh...



Depuis Hoi An pour le LaosJean qui doit se rendre à Hué m’accompagne une partie sur les 370 km qui me séparent du Laos. Lui, en scooter, carnet de croquis à portée de main, moi sur mon Tigre Bleu rougi par la poussière des pistes en travaux. Pendant que Monsieur le peintre roule sur son scooter de villages en points de chute, qu’il s’arrête devant un ananas frais, qu’il fait le portrait d’habitants « Kathu », je pédale sur la célèbre voie Ho Chi Minh sous 28 ° minimum. La première grimpette à 9,99% va durer presque 2h00, une éternité. Elle sera suivie d’une longue descente rafraîchissante pour repartir aussitôt à la verticale : 9,99%. 70 km de faux plats précédents les 70 km de vagues de 10%. Cette route historique est peu fréquentée. Donc, pas de gargotes, pas de boissons… La fatigue me rattrape. Les côtes s’enchaînent, je suis vidé mais je ne pose pas le pied fatal qui stopperait mon élan. J’ai largement sous-estimé le terrain et ses longues distances montagneuses en plein cagnard.

Scotché sur la route Ho Chi Minh
16h30, la fatigue s’invite cette fois lourdement sur mon porte-bagages, je cède. Je m’arrête, descends de mon vélo, m’assieds sur une rambarde métallique. Commence alors un véritable cauchemar les yeux ouverts : l’oreille gauche s’est bouchée quelques minutes auparavant ; je veux me relever mais je reste scotché à la rambarde, les fesses collées : je suis dans l’incapacité de me mettre debout. Pris de nausée et de tiraillements, je me penche et vomis tout mon ananas, ça ne me soulage pas, au contraire, ça m’affaiblit davantage. Une nouvelle tentative pour me lever : ma jambe gauche ne répond plus, je manque de tomber. J’essaie de m’agripper au vélo, et constate à présent que le bras complet ne m’obéit plus, les mains restent muettes aux appels du cerveau, la télécommande est en panne ? Un problème d’altitude ? Il faut partir de cet endroit, redescendre, trouver un téléphone pour prévenir Jean de mon malaise. Mes yeux observent la scène jusque dans le moindre détail, la scène est simple : c’est l’histoire d’un corps qui ne répond plus. Mon estomac compressé se vide encore, je suis un pantin désarticulé au milieu d’une montagne sans passage. Des bruits dans les feuillages. Je me concentre et tente d’enfourcher mon vélo. Je saisis le guidon et m’éloigne de la rambarde pour atteindre la route. Tout tombe en claquant violemment sur le bitume tandis que, entraîné par la chute du cadre, je roule vers le bas côté, la guitare m’amortit…

Manque un Truc
Manque un truc. « Manque d’eau ? Manque de sucre ? Manque de quelque chose, c'est sûr. J'étais si bien à Hoi An, et sa douceur de vivre, les yeux et les sourires d'une demoiselle. J'ai bien fait de ne pas partir hier, nom d'un chien: c'était le 13. Qu'est-ce que ç'aurait été !»
Hors de question de m’arrêter ici dans cet état d’ivresse consciente. Je me redresse sur les genoux, eux tiennent encore, je relève le vélo d’une main et parviens à jeter cette foutue jambe gauche inerte à moitié pantelante par-dessus la barre centrale. A l’aide du pied droit je me hisse sur la selle, tant pis si la sangle de la guitare a glissé de mon épaule, tant pis si l’instrument pendouille en travers de mon dos. Il me faut trouver l’énergie suffisante pour gagner le bas de cette cote. Descendre de ce foutu col.
Je pédale et je pantèle
Après 10 bonnes minutes de laisser-aller, je freine, tente de poser le pied droit. Une crampe me paralyse la jambe, c'est donc un manque d'eau, j'ai vidé mes bouteilles et rien sur la route. Je me « vautre » lamentablement sur le côté gauche. Mon oreille se débouche à peine, je suis pris de tremblements, j’ai froid, à deux reprises, j’ai failli tourner de l’oeil, c'est le manque de sucre. Hypoglycémie*... la réponse est là. Je suis une andouille ramollie, un pantin qui pédale mal sur un tigre imperturbable. Mon objectif est de stopper le prochain véhicule. Je me secoue: « Tiens bon ! ». Je m’adosse contre le muret, près d’une cascade, j’attends qu’un moteur nous embarque et nous tire de là, mon Tigre et moi.
*Dans l’organisme, le taux de sucre dans le sang, ou glycémie, est un paramètre régulé en permanence. Schématiquement, cette quantité est contrôlée par deux hormones : l’insuline et le glucagon. Lorsque nous venons de manger : le sucre des aliments passe dans le sang. La glycémie augmente. Le pancréas sécrète alors de l’insuline, hormone qui va provoquer le passage de l’excès de sucre dans les cellules, du foie notamment où il sera stocké sous forme de glycogène. Inversement, lorsque le repas est loin, nos muscles puisent du sucre dans le sang. Si ce taux devient trop bas, le pancréas secrète du glucagon, qui entraîne la libération de glucose du foie vers le sang... Merci Docteur.

Action, moteur!
A défaut d'action, le moteur résonnera dans la vallée. Je l'entends de loin résonner contre les murs végétaux; je me prépare et fais un signe de la seule main capable de bouger : le conducteur de la fourgonnette klaxonne, me sourit et poursuit son chemin. Un second véhicule arrive : je fais des signes à grand renfort de casquette… des sourires et des saluts de la main. "C’est vrai, au Viet Nam, le langage des mains diffèrent". Un troisième moteur… je ferme la main et les doigts s’ouvrent et se referment vers le bas pour demander de venir… (Le même geste avec la main dans l'autre sens, comme chez nous pour demander de s'approcher, a une signification sexuelle "Viens ma chérie que je... t'aime et un peu plus"
Je m'exprime en essayant de rester digne et droit comme un piquet: « Prao » On m’accepte sans soucis à grimper dans le véhicule : les 20 kilomètres suivants se feront an 4x4, Tigre Bleu sur le toit.

2=20, c'est le calcul vietnamienMais nous savons tous que l'effet "Boule de neige" existe, même au Viet Nam. Car la mésaventure n’est pas tencore terminée. Déposé par mes sauveurs, près d’un hôtel, je ne suis toujours pas à Prao où j’ai donné rendez-vous à Jean. Ma jambe est reposée, le temps du malaise a laissé place à l’envie d’en terminer avec cette putain de route. La nuit va tomber dans une quinzaine de minutes, je demande à l’hôtelier : « Prao ? » (Nom de la ville) Son index et son majeur se tendent : « 2 », me fait-il en vietnamien. Je prends le risque, j’allume ma lampe frontale et je roule. 10 minutes passent, puis 20 minutes et bientôt 40 minutes. Roulerai-je si lentement que ça ? Ai-je loupé la ville, à cause de la nuit ? Je m’approche de deux piétons :

« Prao ? » L'un d'eux lève l’index et me répond en anglais « Ten ». Bon sang mais c’est bien sûr : les Viet Namiens comptent en dizaine, ça en dit long, ça en dit Zen!

"Tigre bleu, ça va?" La bête féraille et ne me répond pas... Je reprends la course, le dos transpirant, au bout « largement dépassé » de mes forces. Mes yeux se fient aux traits blancs centraux de la route, que les pleins phares des véhicules venant de face me font perdre. Un phare plus puissant qu’un autre m’aveugle, je me concentre et vise le blanc : cette fois c’est une ligne de bornes et c’est le choc. J’explose la pédale gauche, je roule dans le fossé, le genou amoché mais la tête protégée entre mes coudes et le dos intact : pour la seconde fois, ma guitare m’avait sauvé. Je suis resté allongé, le temps de souffler, de regarder les étoiles.

J’arriverai en pédalant de travers à l’hôtel : l’ami peintre s’était inquiété, avait fait demi-tour, m’avait cherché. En vain. Cela m'apprendra à prévoir davantage, mais l'aventure commence souvent par ce qui vous échappe. Désolé Jean de t'avoir fait du mauvais-sang. Mais je te rassure: à part le genou ankylosé, la bonne humeur aidant, tout s’est remis en ordre après une douche, une bière fraîche et un repas chaud. C'était le soir de la Saint Valentin... Vive l'amour!Et pour terminer, une p'tite chanson :

"Mais pourquoi faire ?" (chantée en public pour la première fois à Hoi An)
J’en ai ras la coupe
J’m’éparpille trop sur les routes
J’m’emprisonne et je doute
Je sens qu’il faut que j’me regroupe !

Alsace Lorraine, un café crème,
Paris Phnom Penh, j’arrive, je t’aime
Demain Dublin, hier Strasbourg
Lille ou Madrid, c’est loin l’amour…

Au Viet Nam je me fais la belle
Pour visiter la Tour Eiffel
Stockholm, je dors dans les sous bois
Je vois des Elfes Suédois !
Mais qu’est-ce que j’bois ?

Les pieds dans un lagon
Sensation, c’est trop bon
Ce bleu paradisiaque
Pour le rythme cardiaque

A force de partir
Je ne peux plus revenir ?
Poser les pieds sur terre,
Rester mais pourquoi faire ?


Pont-à-Mousson, ponds ta chanson
Pont d’Avignon, Pompe à Pognon
Temples d’Angkor, folie d’Angkar
Paris Dakkar, Paris Toquards

Le Grand Meaulnes, « 14-18 »
Verdun Anglet, je prends la fuite.
Je préfère à la saison sèche
Goûter un thé à Marrakech

Le cœur dans la rizière
Quand le bleu devient vert
Sensation d’un meilleur
Je me sens autre ailleurs

A force de partir
Je n'peux plus revenir
Poser les pieds sur terre,
Rester mais pourquoi faire ?




Pour la Suite des Carnets 5, 6 + Epilogue:
CLIQUEZ sur "Messages Anciens"
(J'ai remis le Blog dans l'ordre chronologique de la lecture)

1 commentaire:

julia et Henry a dit…

Bonjour Pyerrot,
La lecture de ton carnet nous a fait peur cette fois !! Attention à toi et à tigre Bleu ...bon courage et belles découvertes.
Julia et Henry